Les listes d’attente chez les pédopsys s’allongent. Mais confier ainsi sa progéniture n’éviterait-il pas à certains parents de s’engager eux-mêmes dans une thérapie ? Les bonnes questions à se poser et les réponses de nos experts.
C’est un nouveau réflexe, ou plutôt une néo-norme qui s’est progressivement imposée… Emmener son enfant chez le psy à la moindre question est devenu un geste de salubrité. Dans tous les milieux. Et qu’il ait 1 ou 20 ans, c’est chaque fois la même procédure : on cherche « la » bonne adresse, ce sésame qui permettra, enfin, de respirer en paix. Parce que c'est vrai, il faut bien l'avouer : elle est un peu agressive, ou il a souvent mal au ventre ; elle refuse toute séparation, ou il est hyperactif... Alors on veut savoir : « Avec mon fils/ma fille, c'est quoi le problème ? » A cette question, que lui adressaient déjà tant de pères et de mères des années 1970, la célèbre psychanalyste Françoise Dolto répondait en se tournant d'abord vers l'enfant : « Est-ce que tu sais, toi, pourquoi je suis là ? » Et ajoutait : « Je ne suis pas là pour que tu sois sage à la maison, parce que, sinon, cela voudrait dire que je suis là pour tes parents. Je ne suis pas là non plus pour que tu travailles bien à l’école, sinon cela voudrait dire que je suis là pour ton professeur. Je ne suis pas là pour que tu guérisses de ton asthme ou de ton eczéma, sinon cela serait pour rendre service à ton médecin. Non ! Moi, je suis là pour que tu deviennes ce que tu es. » Quant aux parents, à eux de s’interroger… Malin ? Oui. Mais force est de constater que, plus de 40 ans plus tard, l’époque a bien changé. Aujourd’hui, dans les familles comme dans certains cabinets, du fait même de la « sanctification » des discours scientistes sur la santé psychique, plus question (ou presque) d’envisager le symptôme d’un enfant ou d’un ado comme un « déguisement », c’est-à-dire comme « l’expression d’un langage codé, créé à l’intention d’un interlocuteur », selon les mots de la psychanalyste Maud Mannoni.
La vérité du “couple familial” Ce que l’on exige désormais, c’est que le problème soit vite éradiqué ! Peu importe ce qu’il représente, y compris, parfois, la « vérité du couple familial »… Or, cela, bien sûr, ne va pas sans conséquences. Il suffit de voir les chiffres : explosion des prescriptions de psychotropes ou de psychostimulants destinés aux enfants, augmentation des diagnostics de troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et autres problèmes « dys » (dyslexies, dysphasies, dyscalculies…). « Du coup, de plus en plus d’enfants sont étiquetés sans que l’on ne tienne plus compte de leur histoire singulière, ni du contexte dans lequel ils évoluent », s’indigne le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger. Et ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle. « Car ce que les parents doivent savoir, c’est que, parfois, ce n’est pas celui qui semble le plus troublé qui a le plus besoin d’un psy », reprend le spécialiste. À quoi faut-il donc être attentif avant de prendre rendez-vous ? Réponses de nos experts.
Problème psychologique ou pédagogique ?
Psychologies : Pour quelles raisons les parents d’aujourd’hui vous amènent-ils leur enfant ? Robert Neuburger : Dans la majorité des cas, c’est d’abord l’école qui leur conseille de consulter. Pour une raison simple : celle-ci se décharge des problèmes pédagogiques sur les parents avec une facilité déconcertante, et je reçois donc très souvent des parents culpabilisés par une institution qui, elle, ne se pose pas de questions. Mais il y a aussi, bien sûr, des parents qui font la démarche d’eux-mêmes parce qu’ils notent un « problème » et s’inquiètent de savoir si leur enfant ne relèverait pas d’une de ces nouvelles étiquettes, d’un de ces nombreux diagnostics à épithètes qu’ont récemment créés les laboratoires… Vous diriez donc que les parents sont souvent « sous influence » ? Robert Neuburger : Plus qu’avant. Mais je remarque aussi que les problèmes exposés par les parents sont souvent davantage d’ordre pédagogique que psychologique : beaucoup arrivent en disant qu’ils ne savent plus « comment faire ». La raison principale de cette remise en question ? À mon sens, elle tient d’abord à l’exercice de la coparentalité : de plus en plus fréquemment, les couples découvrent, une fois que l’enfant est là, qu’ils n’ont pas du tout le même projet éducatif en tête, et cette rivalité se révèle aussi désastreuse pour l’enfant que pour le couple. Parmi les familles qui me consultent, beaucoup reconnaissent nager en pleine confusion : la mère est devenue le parent qui limite et organise, le père s’est mis à jouer à la maman…Et, au bout du compte, le cercle vicieux s’installe : plus elle devient contrôlante, moins il se montre soutenant. La protestation féminine prend alors souvent la forme d’une rétorsion dans l’intimité conjugale. Plus de câlins : le début de la spirale infernale…
Selon vous, les parents d’aujourd’hui veillent-ils « trop » au bien-être de leur enfant ? Robert Neuburger : Disons plutôt qu’il se produit quelque chose de similaire à ce qu’il s’est passé, il y a quelques années, avec l’adoption. Je vois des parents qui veulent tellement bien faire qu’ils finissent par ne plus considérer l’enfant comme un membre de la famille, mais presque comme un hôte. L’hôte d’une famille d’accueil. Or, difficile, dans ces conditions, de développer un sentiment d’appartenance… Ce phénomène contemporain résulte, selon moi, d’un glissement progressif de l’« enfant désiré » à l’« enfant décidé ». En peu de temps, cela a entraîné une hyper-responsabilisation des parents. Beaucoup se comportent avec leur enfant comme s’ils avaient reçu un don, un présent, oubliant par là même que la famille induit des droits, mais aussi des devoirs. Nous assistons donc à une inversion de la dette transgénérationnelle : longtemps, les enfants ont dû à leurs parents et, désormais, de nombreux parents pensent qu’ils doivent à leurs enfants. D’où leur demande : comment faire pour éduquer ? Plutôt que s’en remettre aux psys, peut-être en commençant par s’interroger sur ce qu’ils souhaitent transmettre.
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