Crises d’angoisse, maux de ventre, vomissements… Submergés par la peur, la détresse, certains enfants et adolescents se rendent complètement malades à la simple idée de mettre un pied à l’école. Un phénomène en augmentation, affirment les spécialistes qui voient chaque année de plus en de cas se présenter en consultation.
« Phobie scolaire », « anxiété scolaire », « refus scolaire anxieux » : autant de dénominations derrières lesquelles se trouve la même manifestation : « une peur intense de l’école, qui conduit l’enfant à éviter systématiquement de s’y confronter » résume la psychologue Béatrice Copper-Royer dans son livre Peur du loup, peur de tout (Albin Michel). Difficile d’imaginer que l’école, lieu de socialisation de l’enfant par excellence, mais aussi des apprentissages, puisse rendre certains de ses écoliers aussi malheureux. Et pourtant, ajoute la psychologue, « vivre avec d’autres du même âge, apprendre, être curieux, être évalué, se mesurer aux autres, faire plaisir aux parents en réussissant ou s’opposer à eux insidieusement en ne faisant rien : les enjeux sont nombreux, et pas des moindres. »
Un phénomène encore flou Sans chiffres officiels, difficile de savoir combien d’enfants et d’adolescents sont concernés. Les données qui circulent, lesquelles émanent d’études dont on ne sait la provenance, estimeraient entre 4 et 5 % la proportion d’élèves en âge de suivre une scolarité obligatoire (de 6 à 16 ans) victimes de troubles anxieux les empêchant, sans qu’ils sachent réellement pourquoi, de se rendre normalement en classe. Parmi eux, près d’1% souffriraient d’une forme plus sévère encore : la phobie scolaire. Un terme sur lequel tous les spécialistes ne s’accordent pas, comme l’explique Marie-France Le Heuzey, psychiatre à l’hôpital Robert Debré où elle anime une consultation spécialisée dans les troubles en lien avec l’école. « La phobie scolaire, tout comme celle de l’ascenseur ou de l’avion, n’existe pas. C’est un abus de langage. Quant au refus scolaire, terme utilisé par les anglo-saxons, il ne semble pas plus adapté. Les jeunes que je vois en consultation ne refusent pas d’aller à l’école, ils n’arrivent pas à y aller, ce qui est différent. Voilà pourquoi je préfère dire plus simplement qu’ils sont malades de l’école, et en rupture scolaire. » Données absentes, dénomination qui fait débat : la phobie scolaire a tout d’un phénomène tabou.
Un syndrome aux multiples visages Comment savoir si son enfant souffre réellement de l’école ? Certains signes doivent interpeller. Les symptômes physiques d’abord : il est pris de véritables attaques de panique lorsqu’il part à l’école, de crises d’angoisse, ou encore de violentes douleurs (à la tête, au ventre…). Et puis dans ses paroles : il crie, supplie qu’on le laisse rester à la maison, menace de fuguer, voire de se suicider. Enfin, il trouve toujours ailleurs des explications à sa crainte d’aller en classe (« les profs ne m’aiment pas », « les autres élèves m’embêtent »…). Dans la plupart des cas, les symptômes disparaissent les jours sans école, comme les week-ends, et surtout, pendant les vacances scolaires. Mais qui sont ces enfants ? Pour la psychiatre Marie-France Le Heuzey, deux profils se dégagent. D’abord ceux chez qui les troubles anxieux (souvent, l’enfant en cumule plusieurs) sont au premier plan. Il s’agit notamment d’enfants touchés par l’anxiété de séparation et pour qui le fait de s’éloigner du domicile familial et/ou de leur mère semble impossible, ceux qui souffrent de phobie sociale et sont pris d’attaques de panique dès qu’ils sortent dans la rue, ceux qui ne supportent pas le regard des autres posés sur eux, ou le fait d’être interrogés par leur instituteur… Autant de manifestations d’anxiété souvent aggravées et déclenchées par un stress post-traumatique : l’enfant a subi ou assisté à une humiliation devant ses camarades, il a été agressé sur le chemin de l’école, fait l’objet de menaces…
Le deuxième profil concerne ceux chez qui l’anxiété n’arrive qu’au second plan. Ils sont dépressifs, souffrent d’un profond désintérêt pour leur scolarité, laquelle ne leur apporte souvent aucune gratification, soit parce qu’ils ont de mauvais résultats, soit parce qu’ils s’y sentent incompris (c’est notamment le cas des enfants dyslexiques ou encore hyperactifs). Il arrive alors fréquemment que leur attention se fixe ailleurs, dans un domaine où ils se sentent plus valorisés, comme les jeux vidéos de plus en plus souvent, ou le sport. « L’angoisse peut aussi naître des enjeux qui se précisent au fur et à mesure que les jeunes avancent dans leur cursus », souligne Béatrice Copper-Royer. Rappelant aussi combien la scolarité aujoud’hui met de plus en plus l’accent sur une orientation précoce. « On met les adolescents en demeure de se déterminer très tôt, comme si, à quatorze ou quinze ans, ils pouvaient avoir des projets d’avenir fermes et être certains de leur choix. »
Des parents désemparés et culpabilisés Pour les parents, il n’est pas évident de comprendre la souffrance de l’enfant. D’autant, explique Béatrice Copper-Royer, qu’il n’est « pas toujours facile de savoir comment réagir face à un comportement dont la logique nous échappe. Toute phobie paraît absurde à celui qui ne l’éprouve pas et rien n’est plus déroutant que de se retrouver face à son enfant quand il exprime une peur panique et semble sourd à tout appel à la raison. » Difficile aussi parfois de bien faire la différence entre le refus scolaire, source de détresse chez l’enfant, et l’école buissonnière, plus comparable à un caprice ou à une attitude de rébellion à l’égard de l’autorité parentale. D’autant que parfois, ce sont les parents qui, les premiers, sont accusés d’être responsables de l’absentéisme de leur enfant. Une part de responsabilité parfois bien réelle, notamment chez les parents qui surinvestissent la réussite scolaire, qui sont constamment dans le souci de la performance, mais aussi chez ceux qui, tout au contraire, dévalorisent l’école et ses apprentissages.
Éviter la déscolarisation Face au refus catégorique de leur enfant d’aller en classe, les parents se voient parfois dans l’obligation de le déscolariser, et d’accepter, même temporairement, la solution des cours par correspondance. Une situation dangereuse, selon les spécialistes. Ils affirment en effet que plus l’absentéisme se prolonge, moins bon est le pronostic, et que le seul moyen de combattre ses peurs est de s’y confronter. « Dès qu’un parent repère chez son enfant des difficultés à aller à l’école, que celui-ci affirme qu’il n’aime pas ça et essaye de la fuir, il faut entamer un échange avec lui et tenter de comprendre pourquoi, affirme Marie-France Le Heuzey. Il faut aussi aller en parler avec l’équipe pédagogique, le médecin scolaire, et surtout, ne jamais négliger la possibilité que l’on puisse avoir besoin de se faire aider. Puis s’adresser à son médecin traitant, qui saura nous diriger, en cas de besoin, vers un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) ou un psychologue.
Les familles qui consultent dans le service de Marie-France Le Heuzey s’y rendent généralement en dernier recours, alors que leur enfant n’a pas mis les pieds au collège ou au lycée depuis plusieurs mois, parfois plusieurs années. « Ici, certains sont hospitalisés plusieurs mois parfois. On travaille sur leur anxiété d’un côté, avec un suivi psychiatrique et souvent une thérapie familiale, et sur leur réintégration scolaire de l’autre. Nous disposons d’un centre scolaire, où les enfants sont encadrés par des enseignants de l’Education Nationale. Lorsqu’ils semblent prêts, nous travaillons à leur réinsertion dans leurs établissements d’origine. » Fort heureusement, tous les enfants malades de l’école ne nécessitent pas une prise en charge aussi lourde. Chez les plus jeunes (en maternelle et primaire) et lorsque l’on réagit vite, il suffit parfois d’un peu de fermeté et de conviction de la part des parents pour résoudre le problème. Mais quelle que soit l’ampleur de la peur, et l’âge de celui qui en souffre, l’empathie, l’écoute et le soutien sont la meilleure attitude que les parents puissent adopter.
Le témoignage d’Ophélie, 20 ans « Ma phobie scolaire s'est d'abord déclenchée en primaire, puis véritablement au collège, après un deuil dans ma famille. C'est à ma rentrée en seconde que j'ai véritablement compris qu'il allait m’être impossible de poursuivre ma scolarité normalement. J'avais des crises d'angoisse, de spasmophilie, des maux de tête et de ventre. Il m'est même arrivé de m'évanouir. Je suis aussi tombée dans l'anorexie mentale à cause de ma peur de l'école, pensant que lorsque je serais trop affaiblie, on ne me forcerait plus à y aller. La raison de ma peur ? Je pense qu’il y en a plusieurs. J'ai toujours été de nature timide et perfectionniste. Je me mettais un peu la pression pour avoir les meilleures notes possibles alors que j'apprenais et étudiais facilement. D’un point de vue relationnel, j'ai toujours eu du mal à m'entendre avec les gens de mon âge, je me sentais à l'écart. Les moqueries de mes camarades du collège n'y ont rien arrangé. Le décès dans ma famille a été, je pense, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. J'ai eu l'impression de grandir d'un seul coup, et de ne plus savoir à qui parler... À partir de la seconde, j’ai décidé de suivre des cours par correspondance. Ça n'a vraiment pas été facile. J’étais dégoûtée des études. J'avais peur des examens, du Bac surtout. Alors, après la seconde, j'ai arrêté mes cours pour me consacrer à l'écriture. Aujourd’hui, je pense pouvoir dire que "je m'en suis sortie" : j'ai publié deux romans et un recueil de poésies. Je continue à écrire et j'espère vraiment réussir sur cette voie. Néanmoins, je ne suis pas sûre que je pourrais un jour reprendre le chemin de l'école. »
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